SEMAINE DU JEUDI 29 Mai 2008
Une formule méconnue pour s’installer à son compte
Cocooning pour bébés entrepreneurs
Musiciens, informaticiens ou professionnels du BTP, ils peuvent se lancer sans risques grâce aux «coopératives d’activités et d’emploi», qui leur proposent un statut de salarié pour soutenir leurs premiers pas
Régulièrement, ils s’entassent dans un local un peu exigu de Langueux, un faubourg de Saint-Brieuc, à deux encablures de la mer. Ils ont tous des métiers différents, mais bien dans l’air du temps, et une même passion pour ce qu’ils font. Il y a là Joachim, 23 ans, préparateur de bateaux pour la compétition; Pascal, assistant informatique à domicile dans la campagne bretonne; Yveline et Ross, artisans d’art en ferronnerie, cuir et textile. Et puis il y a aussi une artiste plasticienne, un musicothérapeute, une sophrologue, trois «éco-paysagistes», sorte de jardiniers bio… En tout, ils sont plus de 70 de tout âge à se retrouver ici ou dans un autre local à Lannion, avec le même enthousiasme, le même projet ambitieux qui leur tient aux tripes : s’installer à son compte. Par petits groupes, sous la houlette d’un vieux routier de la gestion, ils s’interrogent : comment me faire connaître ? Comment fixer mon prix de vente ? Aurai-je des clients ? Mon «produit» est-il vendable ? Comment créer mon site internet ?
Sont-ils les studieux élèves d’une école de gestion pour adultes ? Pas du tout ! Ce sont les salariés d’une étrange structure, Avant-Première, qui n’est ni une association ni une entreprise, mais une «coopérative d’activités et d’emploi» (CAE). Une formule récente (moins d’une dizaine d’années), encore méconnue, qui consiste à accompagner les premiers pas de créateurs d’entreprise en les formant à la gestion, à la comptabilité, etc., tout en leur versant un salaire pendant le début de leur activité en attendant qu’ils prennent leur envol. A l’heure où des milliers de gens rêvent de se lancer comme indépendants, c’est un cocon idéal pour tester la viabilité de son projet et sa capacité de gestion
«Pour entrer dans une CAE, il suffit d’avoir un savoir-faire qui ne demande pas trop d’investissement et d’être prêt à créer son emploi», explique le gérant d’Avant-Première, Dominique Babilotte, un ancien chef d’entreprise du multimédia qui a lancé, il y a trois ans, cette coopérative avec le soutien du conseil général des Côtes-d’Armor. Dans un premier temps, le nouveau venu garde son statut social précédent (chômeur ou RMIste dans les trois quarts des cas) jusqu’au moment où il va se lancer, sous l’oeil avisé des permanents. Marie-Laure Charles, free-lance dans les journaux des collectivités locales bretonnes, explique : «Quand j’ai commencé à recevoir des commandes fermes d’articles, la coopérative m’a fait un contrat de travail, un CDI à temps partiel. Elle encaisse le paiement de mes activités auprès de mes clients et me reverse un salaire en fonction de ce que j’ai gagné : je suis «entrepreneur-salarié».»
Moyennant une participation aux frais de structure de 10% de son chiffre d’affaires, l’entrepreneur débutant n’a pas à se préoccuper de sa comptabilité et des tâches administratives, si chronophages quand on démarre. Mais l’objectif reste que l’entrepreneur-salarié vole de ses propres ailes après plusieurs mois de salariat en s’installant à son compte. «Rachid, un ancien animateur socioculturel, dirige une entreprise du BTP et s’apprête à en racheter une autre ! Il a commencé chez nous comme jointoyeur [dans le BTP] », raconte Dominique Babilotte. Celui qui ne veut pas quitter le cadre protecteur et humain de la coopérative peut y rester, à condition d’en devenir l’un des actionnaires autrement dit «entrepreneur-salarié associé». Car la CAE a le statut très particulier de Scop (société coopérative de production), qui permet à chaque salarié qui le souhaite de participer au capital et aux décisions. Soutien aux porteurs de projets, mutualisation des risques et des savoirs, participation éventuelle au capital de la Scop : la coopérative d’activités et d’emploi, c’est aussi une philosophie.
Mais ont-elles prouvé leur efficacité ? Ont-elles un avenir en France ? Comme toujours en innovation sociale, rien n’est gagné. 56 CAE réparties sur 123 sites ont accompagné 3 700 personnes en 2007. Or beaucoup d’entre elles ne parviennent pas à s’autofinancer : elles vivent en grande partie de l’argent des collectivités locales, qui les paient pour leurs prestations d’aide à la création d’entreprises. «Une mission de service public», justifie François Hallé, gérant d’Amétis, une coopérative d’Annecy. De fait, si elles n’ont au final pas toujours créé leur boîte, du moins 56% des personnes qui ont quitté une CAE l’an dernier ont connu une évolution positive : 28% ont mené à bien leur projet d’entreprise ou d’association, 23% ont retrouvé un emploi salarié et 5% sont restées dans la coopérative pour en devenir actionnaires. 31% ont découvert que leur projet n’était pas viable, ce qui leur a peut-être évité des catastrophes.
Problème : les fondements juridiques du statut d’entrepreneur-salarié restent incertains. Comme souvent, le droit du travail est en retard sur la réalité. La formule, un peu voisine du «portage salarial», vient juste d’avoir une reconnaissance juridique. Aux Assedic, on dit considérer plutôt avec bienveillance ceux qui n’ont pu mener à bien leur projet et demandent des allocations chômage. Et le doute subsiste sur la possibilité d’être à la fois entrepreneur et salarié. Mais les gérants des CAE ont tous l’âme très militante et se battent pour faire exister leur solution. Venu assister en février au séminaire national des CAE, Martin Hirsch, le haut-commissaire aux Solidarités actives contre la Pauvreté, a incité les militants coopératifs à mieux se faire connaître. Et puis il a donné le ton : l’heure est aux économies, il faut vérifier l’utilité des innombrables outils de l’insertion. Des appels à projets ont été lancés par le haut-commissariat pour soutenir, voire étendre, des initiatives d’innovation sociale à condition qu’elles apportent les preuves de leur efficacité. Pour cela, elles doivent faire équipe avec des chercheurs, des universitaires qui les évalueront. Le haut-commissariat a retenu pour ce projet, une coopérative d’activités et d’emploi de Reims, Césame Scop, en cours d’évaluation par des chercheurs de l’Université Champagne-Ardenne. Un pas vers une plus grande reconnaissance qui devrait doper le moral des croisés de l’entrepreneuriat-salarié.
Pour contacter la coopérative d’activités et d’emploi la plus proche : www.cooperer.coop
Jacqueline de Linares
Le Nouvel Observateur